Une autre vision du basket et du CSP Limoges


Face à la légende

31/05/2013 18:54

Interview réalisée fin février au téléphone :

Si l'on doit juger un homme à l'aune de ce qu'il a fait, alors force est de constater que celui-ci est un grand. Arrêtons-nous un instant sur le palmarès: 7 titres de champion(1971/1972 avec l'ASVEL, 1976/1980 avec Tours, 1983/1984/1985 avec le CSP ), 2 coupes Korac (1982/1983 avec le CSP), 3 Coupes de la Fédération (1982/1983/1985 avec le CSP),une finale de Coupe des Coupes en 1976 avec Tours, 210 sélections au compteur (4ème joueur le plus capé de tous les temps), 3 fois meilleur passeur (1978 avec Tours, 1983/1984 avec le CSP). Et comme entraîneur, il a fait gravir les échelons de la N1 à la Pro A à Lyon, il a fait monter Vichy de Pro B en Pro A, et est passé au CSP (on en reparlera).

Mais pour avoir une vue d'ensemble de ce que représente une personne, il faut également pouvoir juger sur pièce.

En me lançant dans cette rubrique, je m'étais fixé quelques challenges. Il en faisait partie, car, à mes yeux, il est le meilleur meneur qu'on ait vu à Limoges (même si Jurij Zdovc m'a également beaucoup plu).

Je note la disponibilité de tous ces joueurs qui ont bien voulu se prêter au jeu des questions réponses auprès de ma petite personne. Bien d'autres sportifs de renommée moindre devrait prendre exemple sur eux.

C'est donc un rien fébrile que j'ai décroché mon téléphone et lorsque j'ai entendu la voix à l'autre bout du fil (si tant est que cette expression ait encore un sens) me dire:«Oui, bonjour, c'est Jean-Michel Sénégal», j'étais impressionné. Forcément impressionné.

 

 

K.D:-Tout d'abord, bonjour et merci d'accepter de répondre à ces quelques petites questions. Je suis un peu impressionné, car vous faîtes partie des personnes qui m'ont fait découvrir le basket, et quand j'avais dix ans, vous m'aviez signé un autographe lors du retour de la victoire à Padoue, devant la gare.

JMS:-Le temps passe.

KD:-Je ne vous le fait pas dire.

 

K.D:-Actuellement, vous êtes coach à Monaco en N1, un club avec un passé en ProA. Ce n'est pas trop dur?

JMS:-Non, on a de très bonnes structures, et comme vous le dîtes, c'est un club avec un vécu. Avec Limoges, on venait souvent, et on y a perdu quelques fois de un ou deux points. On joue la montée en Pro B, et pourquoi pas, après, la Pro A. Le seul inconvénient, on joue sans public.

 

K.D:-Parlons du passé.Vous arrivez à Limoges avec déjà 4 titres de champion (71 et 72 avec l’ASVEL, 76 et 80 avec Tours) et une finale de Coupe des Coupes avec Tours (en 76 contre Milan, à Turin, petite défaite de 5 points). Comment êtes-vous arrivé dans la capitale limousine,parce que c’était un pari au vu de votre carrière?

JMS:-C'était un nouveau challenge. Limoges avait fini neuvième la saison précédente, et Monsieur Popelier et Monsieur Biojout (NB: pour les plus jeunes, deux têtes dirigeantes à l'origine du passage du CSP de club de patronage à structure pro)ont eu une belle force de persuasion. Ils me voulaient vraiment. Il y avait un effectif sympa: Richard, Appolo. Et puis Ed Murphy que André Buffière a voulu à tout prix. J'étais la seule grosse recrue française.Il y avait plusieurs éléments qui laissaient penser que quelque chose était possible pour une montée en régime progressive. De là à gagner la Korac la première année...

 

K.D:-Vous vous retrouvez au côté de sacrés noms qui font partie de la mythologie limougeaude et vous décomplexez le sport français en allant gagner deux coupes Korac. Pouvez-vous me raconter comment cela se passait à l’intérieur de ce groupe? Une belle aventure humaine, non?

JMS:-Belle car imprévue. On jouait sans pression.On était une belle bande de copains.

K.D:-Au cours de votre passage à Limoges (même comme entraîneur), quel joueur vous a le plus impressionné?

JMS:-C'est dur, trop de noms me viennent à l'esprit.Mais Ed Murphy était très fort.

K.D:-Pas une vraie star à son arrivée, mais quel joueur.

JMS:-André Buffière est allé le chercher en Belgique.Mais Appolo Faye avait un physique hors norme lui aussi.

K.D:-A l'époque, il avait le niveau pour être le premier Français à pouvoir tenter l'expérience NBA.

JMS:-Tout à fait. Et Richard aussi, quelle détente!

K.D:-C'est la première fois qu'on a vu des alley-hoops en France.

JMS:-Oui, on les travaillait un peu à l'entraînement et on les tentait en match. A Tours, je l'avais déjà fait quelques fois avec Pointdexter. Et puis,il y avait Kiffin aussi. Il est resté juste une saison, il ne faisait pas de vague, mais quel joueur!

K.D:-J'ai souvenir qu'il fait une finale de Korac énorme.

JMS:-Il était monstrueux.Les Américains qu'on a fait venir à l'époque avait un gros niveau.

 

K.D:- J’ai parlé de mythologie. A mes yeux, il y avait une personne très importante à la tête de tout ça: Monsieur (si on pouvait anoblir, il en serait digne) André Buffière. En tant que meneur, je suppose que vous aviez une relation particulière avec lui, et même si à mes yeux, avec du recul, cela était presque une évidence, votre passage au rôle d’entraîneur a-t-il été influencé par ce grand monsieur?

JMS:-Oui, effectivement, pour moi, c'était une évidence. Mais il n'y a pas eu que André Buffière, même si c'est lui qui m'a voulu à Limoges. Je l'avais déjà connu à l'ASVEL. J'ai eu également Pierre Dao (à Tours et à Limoges). En fait, en club, je n'ai quasiment eu que deux coachs. J'ai toujours eu plus ou moins un rôle d'assistant , car j'avais leur confiance, et du coup j'avais des responsabilités.

 

K.D:- Votre carrière d’entraîneur n’est pas un long fleuve tranquille (ce qui est un peu inhérent à ce job). Quels sont vos meilleurs moments (Vichy et la remontée en Pro A, Monaco et le retour en N1)?

JMS:-Incontestablement c'est la prise en main de la Jet Lyon, et les deux montées successives de N1 jusqu'en ProA. J'avais le choix entre la sélection ou Lyon. Le problème de la sélection, c'est que j'étais trop jeune comme entraîneur, et que je connaissais trop les gars de l'équipe (Stéphane Ostrowsky, Richard Dacoury entre autres). Et puis Lyon est arrivé avec un projet intéressant, des moyens, et un bon contrat. Mais il y a également l'aventure avec Vichy. Je prends le club au fond du classement, on remonte bien, et l'année suivante on monte en Pro A.

K.D:- Et vos pires passages:l’intermède limougeaud dans un contexte particulier (éviction de Sherf, vous êtes remplacé à votre tour au bout d’une douzaine de match)?

JMS:-Non, c'est la redescente avec Vichy. Une grosse tristesse. On voit que des petites structures qui montent ont du mal à jouer dans la cour des grands.

K.D:- 210 sélections au compteur (4ème joueur le plus sélectionné). Vous m'avez dit que vous aviez été contacté pour en prendre les rênes et que que ça ne s'est pas fait. Seriez-vous intéressé maintenant?

JMS:- Déjà, on ne me le demandera pas. Ensuite, le niveau est plus élevé, trop élevé, et j'estime ne plus l'avoir . Il faut être lucide. Il faut connaître le rythme et être dedans. Il faut être prêt à l'instant T. Le train est passé, je ne l'ai pas pris. C'est ce qui est arrivé à Michel Gomez, on l'a bien vu quand on lui a reconfié l'équipe de France.

K.D:-Et un club de ProA?

JMS:-Non, je ne suis pas intéressé. Je vais essayer de faire monter Monaco jusqu'en Pro A, et après j'arrête. Je vais avoir soixante ans.

K.D:-On a l'âge que l'on a dans sa tête.

JMS:-Oui, c'est vrai, mais il faut savoir s'arrêter.

 

K.D:- Le contexte limougeaud, surtout dans les années 90, c’était spécial, non? On était loin du club de patronage, et on sentait poindre les problèmes qui sont inévitablement arrivés, non?

JMS:-C'était très bizarre. J'ai appris, notamment avec Tanjevic, mais les coulisses étaient malsaines.

 

K.D:-Je suppose que vous suivez la ProA. Elle est un peu triste, non(niveau moyen, énorme ventre mou, pas de club phare qui peut jouer sur le tableau national et le tableau européen)?

En parlant avec Hugues Occansey, on a trouvé qu'il y avait plus de jeu en N1 ou N2 qu'en ProA ou ProB.

JMS:-Tout à fait. La Pro A et la Pro B ont un niveau très moyen. Il y a trop d'Américains, et ils ont un niveau trop faible. De plus, la plupart des meilleurs joueurs français sont à l'étranger. En National, les Français peuvent plus jouer, et on a un niveau très intéressant.

K.D:-Mais Limoges a souvent su jouer les premiers rôles sans avoir forcément des gros budgets (du moins au début).

JMS:-Oui, mais l'écart s'est accru de trop grosse manière, il est devenu trop énorme.

 

K.D:-Pour parler de Limoges, on est un peu déstabilisé par les résultats du club.

JMS:-Effectivement, moi aussi, je les trouve troublants. Quand ça a gagné à Gravelines en début de saison, il n'aurait pas fallu trop s'enflammer.

K.D:-D'autant que derrière on a eu droit à des très mauvais matchs comme face au Havre. De plus, on a trop tergiversé sur le recrutement dans le secteur intérieur en début de saison.

JMS:-Il faut se dire que pour les clubs français, les recrutements sont très durs à réaliser. De plus, il faut reconnaître que Limoges joue avec la pression tous les week-ends.

 

K.D:-Pour terminer, ma petite question traditionnelle: votre 5 majeur idéal (tout joueur confondu, NBA/étranger)?

JMS:-Tout d'abord, sûr, Magic, Jordan et Karim Abdul Jabbar. Après, mais c'est plus personnel: Drazen Petrovic (NB: joueur qui jouait à Sibenik lors deux finales de Korac gagnées par Limoges, il a joué en NBA (Portland et New Jersey)avant de se tuer en voiture à 28 ans). Il avait tout pour devenir gigantesque. Et je finis avec Lebron James. Monstrueux. Avec eux, pas besoin de coach, ils savent se débrouiller.

K.D:-Merci d'avoir pris du temps pour répondre à mes questions, et bonne chance pour la suite.

 

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