Une autre vision du basket et du CSP Limoges
FREDDY HUFNAGEL, LE PALOIS QU'ON AIME
24/01/2016 09:25
Quel supporter du CSP s'est remis de ces deux lancers francs que Freddy Hufnagel a planté pour donner le titre aux Palois en 1986?
Peu importe. Alors qu'on a détesté Anderson, méprisé Gadoue, hué Seillant, on n'a jamais vraiment eu rien à reprocher à Freddy. Avec trois titres et une Korac, il a marqué de son empreinte le paysage basket français. 102 sélections au compteur, une bouille de mousquetaire gascon, il a eu la gentillesse de m'accorder de son temps quelques jours avant le clasico.
Et s'il était le Palois qu'on aime?
Ken Dancy : Freddy, bonjour, merci de consacrer du temps pour cette petite interview. Attaquons tout de suite : ça fait quoi de répondre à un site dédié à l'ennemi intime ?
Freddy Hufnagel : Bonjour. Je dis, pourvu que ça dure. On a besoin de passion, même si la situation pour Pau est différente en ce moment.
KD : Pour ma part, j'ai développé l'idée que cette rivalité vient des nombreux points communs entre les deux clubs : clubs de patronage, Présidents historiques emblématiques, grands coachs, palmarès quasi identiques au niveau national...
FH : Vous avez quand même une Euroligue.
KD : Je parlais au niveau national.
FH : On a connu de belles aventures avec Pau, notamment au moment de la French Team (NB : 95/96, avec les Rigaudeau, Foirest,Dubos, Gadoue Thierry et Didier). Mais cette rivalité a été montée au départ par les deux Présidents, Seillant, à Pau, et Biojout chez vous. Deux assureurs. Limoges a enchaîné des titres, nous a servi de modèle.
KD : Orthez était quand même dans l'élite avant nous.

FH : Oui, mais quand t'as une équipe qui se monte avec Sénégal, Dacoury, avec qui je jouais en équipe de France junior, Apollo, et Buffière à sa tête, on ne peut que s'en inspirer. On a fait des allers retours, Limoges a su se stabiliser.
KD : Même si Orthez est l'ennemi juré, je n'ai jamais eu de vraie détestation pour cette équipe. Pourtant, il y avait de forts caractères : vous, Seillant, Gadoue. Et Anderson, le mec qu'on adorait détester.
FH : Paul (rire). C'était un guerrier, un vrai Américain, avec le caractère qui va avec. Mais, il ne faut pas croire, pour nous venir jouer des mecs comme Bilba, Dacoury, Ostrowsky, c'était pas une partie de plaisir non plus. On a toujours eu du respect pour Limoges, et ça a fait du bien au basket cette rivalité. C'est du Balzac, avec tous ses drames et ses rivalités, bien entretenus. On organise le 27 juin à Pau un tournoi des clasico, avec les grands anciens : il y aura Pau/Limoges (coachés par Mathieu Bisseni et Apollo Faye, car je pense qu'ils auraient du mal à traverser le terrain maintenant (rire)) et Barça/Réal. Et une finale. Ce sera une belle fête. C'est pour ça aussi que j'essaierai de venir à Limoges mardi, pour rencontrer Fred pour le convaincre.
KD : Belle initiative, en effet. Sinon, à Pau, il y a deux personnes que j'ai vraiment aimé : vous, et Georges Fischer. J'ai toujours regretté qu'il ne vienne pas à Limoges.
FH : Les contraintes étaient différentes à l'époque. Les coachs pouvaient rester longtemps dans un club, ils risquaient moins de sauter que maintenant.
KD : Et concrètement, le match de Limoges, ça représentait quoi : le match qu'on coche en premier, ou un match un peu plus particulier, mais sans plus d'attente que ça.
FH : Je vais te dire mon avis personnel : oui, c'était un match important, mais si tu perds les matchs précédents, ou les suivants, gagner celui-là ne servait pas à grand-chose. Donc, c'était un match de la saison, avec la pression mise par les gens autours, mais pas spécialement un match particulier.
KD : Parlons un peu de vous. Vous débarquez à Orthez à19 ans, dans ce club qui ne demande qu'à grandir. Il y a des joueurs d'expérience (Bisseni, Larrouquis). Comment se passe l'intégration ?
FH : Sans difficulté. Je suis de la génération Deganis,Dacoury. J'étais à l'INSEP, je voulais être prof de sport. Je n'avais pas deplan de carrière particulier. Je suis allé vers le club régional.

KD : A la fin des années 90, on passe du club de patronage à la grosse écurie. Comment cela a été vécu ?
FH : Seillant n'était pas fou. Il y avait nécessité à grossir. Limoges, et d'autres gros clubs, avaient opéré ce changement. On ne pouvait pas continuer à s'entraîner à la Moutète. C'est sûr que ça forge un homme, mais ce n'était pas viable. On aurait pu entasser 10000 personnes là-bas, on l'aurait fait, mais bon...Seillant à chercher à s'adapter. Le nerf de la guerre c'est l'argent. On devait pouvoir se comparer aux grosses écuries. Labarrère (NB : emblématique sénateur-maire de Pau) nous a fait un beau cadeau avec ce palais des sports. C'était un choix judicieux.
KD : C'est sûr que vous avez une belle salle, à côté de notre Beaublanc qui a vieilli...
FH : Oui, mais Beaublanc, c'est mythique. Les supporters à Pau sont exigeants. A limoges aussi, je pense.
KD : Effectivement. Vous quittez alors le Béarn pour la capitale. Il n'y avait pas d'autres opportunités ?
FH : Si, bien sûr, mais je devais partir, j'étais au bout de ce que je pouvais faire. Et Greg Beugnot était coach. J'ai toujours fonctionné par choix.
KD :Retour à Pau (NB : après un crochet par Levallois et La Rochelle), avec un titre à la clé. Là aussi, par choix ?
FH : C'est plus compliqué. Je ne peux pas tout expliquer, mais en gros, Seillant m'a rappelé. Il y avait des problèmes et des tensions avec Michel Gomez (pour ma part, je n'ai rien à lui reprocher) et le Président pensait que je serai plus à même que les jeunes de l'équipe pour ne pas se laisser bousculer et faire tampon. Et puis,cette French Team, quelle éclate !

KD : Plus de 100 sélections en Equipe de France,mais peut-être pas au meilleur moment vu les grosses écuries internationales à l'époque.
FH : On fonctionnait plus comme une bande de potes. Depuis le basket s'est structuré, et les titres sont arrivés. Ce qu'on a perdu au niveau européen en club, on l'a retrouvé en équipe nationale. Avant, fréquemment les clubs français s'en sortaient en coupe d'Europe. Mais tout fonctionne par vague.
KD : Je n'arrive pas à comprendre qu'on aille à reculons dans l'Equipe nationale.
FH : Le sportif de haut niveau, c'est un égo,parfois énorme. Il y en a qui ne supporte l'idée de devoir faire le banc....
KD : Parlons basket actuel. Comment jugez-vous le Pau actuel ?
FH : Le départ de Seillant n'a pas permis une transition facile. On était à la fin d'un cycle, et la remontée de la pente est dure. Il faut trouver de nouveaux axes de travail. On ne laisse pas aux Américains le temps de s'installer, les résultats doivent être immédiats. Et
forcément, ça coince.
KD : En discutant avec Ken Dancy, on était d'accord sur le fait que les Américains étaient plus polyvalents auparavant. Même, à vrai dire, les joueurs en général. Maintenant, on a trop de postes spécifiques, et quand il y a rotation les équipes sont déséquilibrées.
FH : Ouais, il y a un probable manque de polyvalence. Si je regarde en Espagne, les Américains restent sur deux ou trois saisons (les budgets ne sont pas les mêmes). On change trop souvent. Il faut deux trois ans pour qu'une équipe trouve son rythme. En plus, on préfère des étrangers, même moyens, à nos jeunes.
KD : Nanterre relève de cette philosophie, même si c'est le miracle permanent.
FH :Ce n'est pas le miracle. Donnadieu a une vraie philosophie à laquelle il se tient, et il peut travailler sur du long terme. C'est dur de conserver une base sereine...Dès qu'un jeune est bon, part plutôt que de rester un an ou deux. S'il est moyen, il fait le banc.
Limoges va aller au bout
KD : Et Limoges, qu'en pensez-vous ?
FH : Limoges a une particularité : le public est habitué aux play-offs. Les play-offs, c'est un autre championnat. Tu peux avoir été bon toute la saison, si tu craques en play-offs, c'est cuit. L'expérience est essentielle à ce niveau-là. Beaucoup de membres de l'encadrement proche du club y sont habitués. C'est de la psychologie et de l'expérience. Mais c'est aussi le défaut de la cuirasse. Tu remets ta saison en cause sur ces matchs-là. L'épreuve commence en quart, et on te juge à ce moment-là. Les causeries sont quasi-inutiles. Les joueurs savent ce qu'ils ont à faire. Un joueur peut craquer en play-offs. Je me dis que l'ASVEL peut être super, mais je pense que Limoges va aller au bout, et ce n'est pas pour flatter ou quoi que ce soit....

KD : N'empêche, on est comme l'OM, une saison sans psychodrame est une saison ratée....
FH : Vu de l'extérieur, je vous dis, rien de grave, Limoges est troisième. Un nouveau coach est arrivé, Fred a pris ses décisions, voyons ce qui va se passer. Philippe Hervé est un très bon coach, avec une philosophie de basket différente.
KD : Votre meilleur souvenir.
FH : Le premier titre à Orthez. Comme dans un rêve.
KD : Le pire.
FH : (il se marre) Un match contre Monaco, il reste rien à jouer, on mène d'un point. Je fais une remise en jeu, et au lieu de balancer la balle, je l'envoie en rebond au sol. Sauf qu'elle rebondit sur mon pied, finit dans les mains de Robert Smith, qui la prend et marque. Défaite d'un point. Elle est bien celle-là...
KD : Et, comme d'habitude, le cinq idéal.
FH : Bien sûr, Jordan et Magic, pour le charisme, Abdul Jabbar et Chamberlain (même si tout le monde l'a oublié). Mais, je préfère mon cinq français : Parker (gamin, il avait l'expérience d'un briscard de trente ans), Foirest, Rigaudeau, Diaw et Apollo.
KD : Merci beaucoup d'avoir pris du temps.
FH : De rien, bonne journée. Et à mardi.
Entretien exclusif pour le 5 eme QUART TEMPS et réalisé par KD
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