
Une autre vision du basket et du CSP Limoges
It was a beautiful day, don't let it go away....(C'était une belle journée, ne la laisse pas s'échapper)
08/04/2013 17:11
It was a beautiful day, don't let it go away ..
C'était une belle journée, ne la laisse pas s'échapper
AD PERPETUAM REI GLORIAM
A la gloire éternelle de la chose
J'aurai pu vous parler des abîmes profonds vers lesquels semble se diriger Limoges, sombrant habilement de semaine en semaine et ne trouvant que comme ultime planche de salut les défaites des autres candidats au maintien.
J'aurai pu vous parler des deux matchs décisifs et compliqués qui nous attendent sur ce week-end, à l'issue desquels je vois mal notre situation s'améliorer.
Mais à événement sportif hors norme à commémorer, causerie de circonstance. Les conclusions que nous aurons à tirer de la saison en cours viendront après. La beauté du moment en vaut largement la chandelle.
Je vais vous replonger dans un temps que les moins de vingt ans devraient apprendre à connaître. « Il y a vingt ans à peine, il y a vingt ans déjà, ma mémoire est incertaine, mais mon cœur, lui, n'oublie pas ».
Sic Transit Gloria Mundi
Ainsi passe la gloire du monde
Tout a commencé par un orgasme sportif comme Beaublanc en avait rarement eu jusque là. Il aura attendu 12 ans pour ça. La belle adolescence pour notre beau palais des sports.
Une chaleur étouffante, moite.La sueur coulait des cintres tant la sécurité n'était plus assurée. Cette belle face à l'Olympiakos, un soir de mars, ressemblait à un été caniculaire, un été de porcelaine comme aurait dit ce brave Mort à qui j'ai emprunté une petite phrase. Plus de places en tribunes, toutes les marches étaient occupées par ceux qui, comme moi, avaient pris leurs billets au dernier moment.
Les deux premiers matchs avaient été joués à couteaux tirés.
Mike Young nous fait du Mike Young : des shoots improbables qui trouvent leurs cibles. Dac défend comme un mort de faim. Le match suit son cours.
Tels deux boxeurs de niveau équivalent qui ne veulent surtout pas baisser la garde ni montrer une quelconque faille dans la cuirasse, les deux équipes se rendent coups pour coups.
Aux coups de boutoirs de Young et aux paniers dans la peinture de Bilba répondent les assauts de Pajpal, immense joueur, capable de gagner les matchs à lui tout seul, et les attaques moins stylées de Tabak.
La tension sur les bancs est palpable.
A 45 secondes de la fin, Forte nous balance une mine à 9 mètres alors qu'on est à égalité avec les Grecs.
Évidemment, ça rebondit sur l'arceau, le rebond nous échappe, la balle arrive dans les mains de Pajpal.
Et là, l'impossible arrive : les arbitres (pas vraiment méchants avec nous ce soir-là, sûrement pris par l 'ambiance) lui sifflent un pied en touche. Pas évident vu des tribunes, encore moins lorsque j'ai revu le match plus tard à froid. Il arrive aussi que les arbitres nous aident...
Limoges refait tourner la balle, et elle arrive dans les mains du mec au look le plus improbable vu sur les lattes du parquet du Boulevard Beaublanc : Jurij Zdovc. Merveilleux défenseur, immense meneur, capable de faire un 8/8 à trois points sur un match, contre Le Mans (record toujours en cours, je crois).
Il est bousculé, la balle monte, monte, et monte encore. Le temps est suspendu, tous les yeux sont fixés sur cette rondeur orange qui tourne et finit par entrée dans le cercle.
+2, 3 secondes à jouer (enfin je crois, mais je ne dois pas me tromper de beaucoup).
Beaublanc hurle, Beaublanc gronde, Beaublanc a peur, Beaublanc est en transe. Pourtant, Dieu sait si des exploits s'y sont déroulés avec les mecs à Buffière et ceux à Gomez. Mais là, on est dans l'irrationnel, dans une dimension extra-sportive, c'est plus que du basket, c'est de l'amour.
Les Grecs ratent leur dernière possession.
Putain, que c'est beau, que c'est bon.
Plus tard, je croise Dany Stojovic (ancienne gloire du foot local, père de Damien que je connais du club d'Aixe où je joue, et qui servait de traducteur à Maljkovic, et qui hélas nous a quitté trop tôt), et on se tombe dans les bras.
Voilà Limoges prêt à aller cueillir les pommes de son dur labeur dans le jardin athénien des Hespérides.
ARS LONGA, VITA BREVIS
L'art est long, la vie est breve
Le plateau est relevé : le Réal de Sabonis et Biriukov fait figure de favori de ce Final Four, devant le PAOK d'Ivkovic, qui joue presque à domicile et le Benetton Trévise de Kukoc, Teagle et Rusconi.
Le CSP est très nettement l'incongru, le grain de sable, l'inattendu, celui que l'on n'imaginait pas et dont on croit que l'on va pouvoir se débarasser sans coup férir.
Pour se faire une idée de ce que représente à l'époque Limoges sur l'échiquier européen, Kukoc avait un salaire équivalent à la masse salariale de Limoges : on était le petit gars de la classe de 6ème qui s'invite dans la cour des 3ème.
Mais le sport reste le sport et tout peut se retrouver mis en question quand l'assurance se transforme en arrogance.
Le PAOK domine son match face au Bénetton Trévise. Mais le destin (un peu influencé par les arbitres) en décide autrement, et la bande à Kukoc crée une vraie secousse en battant sur le fil des Grecs truqueurs et retors. Mais là, seuls les journalistes présents et les supporters ayant réservé des tables pour finir la soirée dans le vieux centre athénien y prêtent attention, car, pour nous, deux heures avant, un vrai séisme a autrement fait trembler la hiérarchie pré-établie.
Machine à déjouer les pronostics, le CSP est arrivé sur en terre hélène comme un cheveu sur la soupe, et se retrouve du coup toisé par le gotha du basket européen.
En 1990, l'aventure du Final four s'était terminée par une belle troisième place. Quitte à voyager, autant le faire pour quelque chose, surtout quand on n'a rien à perdre.
La semaine des As s'est terminée en fiasco après une défaite contre Cholet. Maljkovic n'est pas du genre à aimer laisser traîner les choses. Il remobilise immédiatement son petit monde.
Les Madrilènes vont faire les frais de l'application à la lettre du petit Bozidar illustré.
Sabonis est inarrétable? OK, laissons-le libre. Il marquera ses 20 points de toute manière. Si on bloque le reste de l'équipe, il ne pourra pas gagner le match tout seul.
De fait, suite à une défense de folie des Limougeauds, on assiste à un non-match tant la mécanique huilée de l'équipe fait déjouer les individualités ibériques. Pas de suspens, et, sous les « Olé! » des chambreurs supporteurs grecs, encore bercés de leurs illusions et se voyant déjà trop beaux en finale contre nous, les Espagnols passent à la trappe de la plus belle des manières.
Certes, ce n'est pas le basket flamboyant que l'on a connu sous l'ère Gomez. Mais à défaut d'avoir les grosses stars qu'il a pu amener à pratiquer, lui aussi, un basket de folie avec le Jugoplastika Split (Kukoc, Radja, Ivanovic entre autres), Maljkovic s'appuie sur des certitudes: des gros défenseurs (Dacoury, Zdovc, Vérove), de solides intérieurs (Bilba, Redden), un banc capable de supplanter les titulaires tant la débauche physique est énorme (Butter, M'Bahia, Forte), et un « silent assassin » de talent, déchargé de tâches défensives pour se consacrer au score (Young). La force de l'équipe contre la somme d'individualités magnifiques.
Un entraînement foncier hors norme de début de saison, renforcé par des séances intensives en cours d'année, fait de cette équipe un monstre physique n'ayant pas d'autres équivalents . Personne ne bronche ( la promotion actuelle devrait en prendre de la graine), les exploits personnels se cachent pour se fondre dans le collectif.
1990 est oublié. Quoiqu'il advienne de l'ultime confrontation, Limoges aura fait mieux.
DIE GLORIAM
Jour de gloire
Il en va ainsi de la vie. Tout un chacun se rappelle ce qu'il faisait le 11 septembre 2001, le jour de l'assassinat de Kennedy (si tant est que l'on l'on fut né à cette époque). Pour tout supporter de Limoges qui se respecte, le 15 avril 1993 est une journée du même acabit.
Pour ma part, ce soir-là, je me suis planté devant le tube cathodique, avec la famille et les voisins, histoire de passer une soirée sympa.
La deuxième chaîne (qui s'intéressait encore au basket, et qui, ne l'oublions pas, avait osé, un soir de mars 1982, diffusé en prime time la première finale de Korac de Limoges à Padoue) a décidé de diffuser cet Everest du basket hexagonal et du sport français.
L'ambiance est bizarre: les tribunes se sont vidées après le match pour la troisième place, les supporteurs grecs préférant aller noyer leur chagrin à l'ouzo plutôt que de rester pour assister à la finale.
Le début de match n'est guère rassurant, Teagle ayant décidé de nous mettre tout de suite la tête sous l'eau.
Mike Young met un certain temps à trouver son rythme, le Dac prend rapidement des fautes.
Limoges est en mode mineur, semblant jouer avec la peur au ventre. Trévise est appliquée, et la puissance de Rusconi dans la raquette nous fait très mal.
Zdovc a pour mission de coller aux basques de son coéquipier de ce qui fut la grande équipe de Yougoslavie, Tony Kukoc. Ancien poulain de Maljkovic, il devait s'attendre à un traitement de faveur. Sa classe et son talent naturels lui permettent malgré tout de faire son match.
Une première mi-temps souffreteuse, pénible, hachée. Un score de premier quart-temps de Pro A tel qu'on en rêve à la fin de ce premier acte: 28-22 pour la franchise italienne. Un moindre mal tant on aurait pu et du prendre l'eau sans une certaine arrogance des transalpins croyant avoir plié le match. Seuls points positifs, Bilba est en jambe, et Vérove fait son match.
Jimmy; je l'avais connu au bahut. Il jouait avec le centre de formation à l'époque, et venait en cours en pointillé.On n'a pas été proche, mais on discutait de temps en temps. Il m'avait filé une ou deux fois des places.
On a même joué en UNSS (enfin, vu qu'il y avait d'autres gars du centre de formation (Guinot, Settier), j'ai pur ma part plutôt astiqué le banc).
Quand j'ai appris qu'il revenait à Limoges au début de la saison 92/93, j'étais content pour lui, car je savais qu'il aimait ce club. Mais avec sa forte tête, je me demandais si la méthode Maljkovic était Vérove-compatible. Il a progressé en peu de temps, car le sorcier serbe a su détecter son potentiel.
Puis lors d'un déplacement avec les espoirs nationaux il a chopé cette saloperie de staphylocoque doré qui aurait pu le laisser sur le carreau et l'a rendu fragile musculairement et au niveau des articulations. Alors, oui, j'avoue que j'ai un peu flippé pour lui.
Et là, il est sur le terrain, et il fait honneur à la tunique. Maljkovic en a fait une doublure du Dac capable de rester collé à un mec en homme à homme durant tout un match.
La deuxième période est un summum de tension sportive.
Kukoc prend le relais de Teagle, Butter joue dur sur Rusconi pour le faire sortir de ses gonds, et celui-ci commence à déjouer.
Bilba est au four (énorme face off en défense), et au moulin (il plante les paniers comme d'autres les pieds de patates).
C'est tendu, on ne fait plus attention à l'ambiance.
Devant la télé, c'est un calvaire. On est dans le match, mais on a du mal a prendre celui-ci à notre compte.
Et pourtant, jamais la sérénité ne semble nous quitter. Les élèves récitent la leçon de maître Boja quasiment sans faute.
Kukoc profite alors d'un bloc pour fausser compagnie à l'ami Jurij en tête de raquette.
Et là, Forte, jusqu'alors plutôt moyen,tente LE geste. Celui qui neuf fois sur dix vous vaut sanction arbitrale, celui que l'on déconseille dans les écoles de basket : l'interception dans les mains du shooter qui arme. D'autant plus fou que le pistolero s'appelle Kukoc. LE geste qui fait ta carrière et dont tout le monde te rabat les oreilles même des années après.
C'est sa destinée, au Fred : sauver le club. Le genre de truc qui te marque un mec à vie. Une dizaine d'années plus tard, il se souviendra tout ce que ce club lui a apporté, et donnera , dans un acte psychanalytique à étudier dans les conversations de café du commerce, de sa personne pour lui filer la monnaie retour.
Mais là, du bout de ses doigts, il déstabilise cette balle orange si capricieuse au moment de faire union avec le cercle, et celle-ci abandonne le grand Yougo pour choisir le petit gars, fils d'immigré italien.
Il part, et semble impossible à stopper.
On a gueulé comme si on avait gagné le match, alors que ce n'était pas vraiment fini. Mais la tension ne demandait qu'à trouver son exutoire, et Fred nous a permis d'expulser tout ça.
Kukoc est resté seigneur, loin du comportement qu'il aurait pu avoir de réclamer une faute comme de trop nombreux autres bien moins talentueux se seraient abaissés à le faire, frustrés par cette incroyable et impensable perte de balle. Les grands joueurs sont grands surtout dans la défaite.
Forte stoppe sa course et donne à Zdovc.
Faute : on hurle, on n'entend plus Monteil (à vrai dire, ses commentaires étaient tellement superfétatoires que mon père avait quasiment coupé le son).
Il est au commentaire sportif ce que Voici est au journalisme : tout est matière à vitupération sans la moindre retenue, surtout si c'est du superficiel.
Si les lancers sont transformés, ça fait +4, et à peine quinze secondes à jouer.
J'aimerai savoir ce qui peut passer dans la tête du Slovène à ce moment-là, au moment de se présenter sur la ligne. Pense-t-il juste à les mettre au fond ? A-t-il conscience de cet exploit qu'ils sont en train de réaliser ? Se vide-t-il complètement la tête ?
La main est sûre , le geste est délié, la balle rentre . Deux fois.
Ce n'est plus un cri. C'est un un brouhaha incommensurable dans le salon : on est tous debout à regarder comment les Italiens vont gérer cette dernière balle. Mais ils n'y sont plus et Forte part avec la balle et la jette. On ne voit plus le chrono, on ne voit plus rien, on a basculé dans l'irrationnel total.
J'ai les poils des bras hérissés, des larmes qui coulent. En 82, je n'avais pas réalisé la portée de l'exploit. Là, je fais communion avec eux par écran interposé.
Je suis le Dac qui saute et qui hurle sa joie, je suis Redden, impassible dans la victoire, je suis tous et je suis tout seul. Je suis heureux.
Le grand Franck est en larmes et m'arrache un sourire énorme. Voir ces grands dadets exprimés une joie enfantine est merveilleux.
Mon père, d'ordinaire si peu expansif, et parti en criant et revient avec une bouteille de champ et des coupes.
Arliquet, d'ordinaire lotissement si calme, voit sa quiétude troublée par des concerts de klaxon de voitures toutes en partance pour Limoges.
Le sport a des vertus insoupçonnées.
On a notre Coupe du Monde à nous.
Je n'ai pas vu Dac soulever cet affreux trophée qu'on dirait moulé en plexiglas, engagé moi aussi dans ce cortège vers la capitale Lemovice.
Sur Radio France Limoges, ils annonçaient déjà que le centre ville était bloqué.
J'ai posé la voiture où je pouvais et ai rejoint la marée humaine avenue de la Libération.
Je ne reverrais sûrement jamais ça.
On a fini à l'aéroport à 4 heures du mat.
It was a beautiful day, don't let it go away.......
Un beau jour.
Beau à en pleurer.
Décrire tout ça ne rime à rien, si ce n'est à passer pour un vieux con adepte du "c'était mieux avant". Il fallait le vivre.
Voilà ce que représente ces 20 ans pour moi.
On est le club qui a remporté toutes les compétitions au moins une fois.
On est un grand club.
On a un passé.
Essayons de nous construire un avenir.
Et si on venait à disparaître, l'épitaphe serait toute trouvée :
PRIMUM AETERNUM
A JAMAIS LES PREMIERS
par Ken Dancy
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